6 octobre 2016
La cohabitation chez un parent
Essai d’estimation d’un besoin en logement non satisfait à partir de la variable rattaché fiscal de Filocom

Auteurs : Olivier Dupré, Sylvain Guerrini


Objectifs

La cohabitation chez un parent peut être choisie et se dérouler dans de bonnes conditions. Mais parfois, elle peut relever du mal-logement, être subie, et constituer ainsi un besoin en logement autonome non satisfait.
Ce besoin est rarement pris en compte dans les démarches d’évaluation des besoins en logement.

La présente étude vise donc à mesurer l’ampleur de la cohabitation chez un parent, à l’échelle nationale et dans les territoires. Elle a également pour objet de mesurer l’évolution de ce phénomène en estimant l’ampleur des sorties et des entrées en cohabitation, là aussi à l’échelle nationale et locale. Elle s’intéresse aussi à certaines sous-catégories de ces situations de cohabitation :

  • les situations de cohabitation dans un logement sur-occupé ;
  • les situations de cohabitation pour lesquelles le cohabitant a plus de 25 ans ;
  • les situations de cohabitation pour lesquelles il existe une contrainte liée aux revenus du ménage et à ceux du cohabitant.

Enfin, elle s’attache à définir et identifier des situations de cohabitation présumée subie, en nous inscrivant dans le cadre théorique d’une évaluation normative d’un besoin en logement. Ces situations de cohabitation présumée subie regroupent d’une part l’ensemble des situations de cohabitation dans un logement sur-occupé et d’autre part les cohabitations répondant au trois conditions suivantes :

  • le cohabitant est âgé de plus de 25 ans,
  • ses revenus sont inférieurs au seuil de pauvreté départemental,
  • le revenu du ménage hors revenu du (ou des) foyer(s) rattaché(s) est lui-aussi inférieur au seuil de pauvreté. Cette condition vise à tenir compte des cas où les ressources du foyer principal sont trop faibles pour permettre à ses membres de vivre sans l’apport des revenus du cohabitant.

Méthode

Pour répondre à ces objectifs, nous nous appuyons uniquement sur des données statistiques, presque exclusivement extraites de la base de données Filocom 2013. La méthode repose sur la distinction, dans cette base, entre ménage fiscal (au sens de la taxe d’habitation) et foyer fiscal (au sens de l’impôt sur le revenu des personnes physiques). À un même ménage fiscal peut en effet correspondre plusieurs foyers fiscaux : le foyer fiscal dit principal et un ou plusieurs foyers fiscaux rattachés.

Pour cibler, parmi les foyers fiscaux rattachés, ceux qui correspondent à une situation de cohabitation chez un parent, nous étudions uniquement les foyers fiscaux rattachés pour lesquels la différence d’âge entre la personne de référence du ménage et la personne de référence du foyer fiscal rattaché est supérieure à 18 ans. Notre méthode exclut de fait les jeunes majeurs qui déclarent leurs revenus avec leurs parents (et ne constituent donc pas des foyers fiscaux autonomes). Ceux-ci doivent soit avoir moins de 21 ans, soit avoir entre 21 et 24 ans et être étudiants. Nous estimons la population des jeunes majeurs déclarant leurs revenus avec leurs parents et habitant avec eux à 1,5 millions en France. Nous comptabilisons via Filocom un peu plus de 3 millions de foyers rattachés répondant à la condition de différence d’âge. Les situations de cohabitation qui nous échappent représentent donc environ 30 % de l’ensemble et 50 % des cohabitants de moins de 25 ans. Il est évidemment très important d’en tenir compte pour l’interprétation des résultats.

Ces résultats sont convergents avec une étude récente publiée par la Fondation Abbé Pierre et dont les données sont issues de l’ENL (Enquête Nationale Logement) 20131. En effet, cette étude indique que 4 548 000 personnes sont, toutes situations confondues, hébergées chez leurs parents ou grand-parents. Or, notre étude estime à 4,5 millions le nombre de cohabitants chez un parent (3 034 517 dans Filocom 2013 + environ 1,5 millions de jeunes qui habitent chez leurs parents et déclarent leurs revenus avec eux).

Pour finir sur la méthode utilisée ici, signalons qu’il faut se garder de passer trop vite de l’estimation du nombre de situations de cohabitation présumée subie à un besoin en logement : en effet, il ne s’agit d’abord que d’une présomption fondée exclusivement sur des statistiques qui ont leurs limites, rappelées dans l’étude. En outre, les décohabitations ne se font pas forcément pour habiter seul. Enfin, on ne décohabite pas forcément là où on cohabite.

Principaux résultats

Les résultats les plus marquants constatés à l’échelle nationale sont les suivants :

Résultats nationaux :

  • un nombre de cohabitants chez leurs parents (incluant les 18-25 ans qui déclarent leurs revenus avec leurs parents et résident avec eux) estimé à 4,5 millions ;
  • une diminution du nombre de ménages avec rattachés répondant à la condition de différence d’âge entre 2005 et 2009, et une hausse entre 2009 et 2013.
  • 9,5 % des ménages comprennent au moins un rattaché répondant à la condition de différence d’âge ;
  • un peu plus de 3 millions de rattachés répondent à cette condition ;
  • plus de 1,5 millions de personnes de plus de 25 ans cohabitent avec leurs parents ;
  • 38,7 % des rattachés répondant à la condition de différence d’âge ont des revenus inférieurs au seuil de pauvreté départemental ;
  • 12,6 % des rattachés répondant à la condition de différence d’âge sont pauvres et, en plus, cohabitent au sein d’un ménage dont les ressources, hors celles du foyer rattaché, sont elle-mêmes inférieurs au seuil de pauvreté départemental ;
  • environ 384 000 situations de cohabitation présumée subie au sens de notre définition, ce qui représente 12,7 % des rattachés répondant à la condition de différence d’âge ;
  • 111 491 cohabitants sont sortis d’une cohabitation présumée subie entre 2011 et 2013, soit un taux de sortie égal à 33,5 % contre 34,3 % pour l’ensemble des cohabitants.

Ces résultats sont, dans la conclusion de l’étude, mis en relation avec d’autres chiffrages : 411 000 personnes sont ainsi comptabilisés comme « en hébergement contraint chez des tiers » dans le 20e rapport annuel sur l’état du mal logement en France de la Fondation Abbé Pierre, paru en 2015.

Résultats locaux

En matière de déclinaison locale des résultats, on peut retenir notamment que :

  • la croissance du nombre de rattachés répondant à la condition de différence d’âge est d’autant plus soutenue que le niveau de tension sur les marchés locaux de l’habitat est important ;
  • le taux de sortie est d’autant plus faible que le niveau de tension est important, ce qu’on retrouve aussi lorsqu’on cible les cohabitations sous contrainte de revenus ou celles au sein d’un logement sur- occupé ;
  • la part de la sur-occupation dans les situations de cohabitation est elle aussi d’autant plus forte que le niveau de tension est important (19,1 % en zone Abis contre seulement 2,1 % en zone C) ;
  • les plus de 25 ans sont fortement sur-représentés en zone Abis ;
  • c’est dans les couronnes des pôles qu’on trouve la plus forte proportion des ménages avec rattachés répondant à la condition de différence d’âge. C’est également dans ces espaces que les taux de sortie sont les plus élevés ;
  • la cohabitation présumée subie est sur-représentée dans les grands pôles des aires urbaines ;
  • la Corse, l’Île-de-France, l’Alsace et la région PACA se distinguent notamment par une forte proportion de ménages avec rattachés dans l’ensemble des ménages et un faible taux de sortie. Ce constat se retrouve pour la cohabitation présumée subie, sauf en Alsace où on ne constate plus une forte proportion de ménages concernés ;
  • l’ouest du territoire nationale se caractérise par une moindre fréquence des situations de cohabitation en générale et des cohabitations présumées subies en particulier, ainsi que par des taux de sortie plus élevés.

Suites potentielles de l'analyse

L’ensemble de nos résultats pourraient faire l’objet d’un prolongement pour tenter d’estimer, à partir des situations de cohabitation présumée subie, un besoin potentiel en logement. Cela supposerait, à l’échelle nationale, de faire des hypothèses sur les comportements de cohabitation. À l’échelle locale, cela supposerait de plus de faire des hypothèses – appuyées par exemple sur les comportements migratoires par tranche d’âge disponibles via l’INSEE et les données du recensement – sur les origines / destination des décohabitants selon les territoires.