4 avril 2024
Les navettes maritimes décarbonées, un potentiel pour la mobilité du quotidien dans nos territoires ?
La journée technique co-organisée par la DIRM Méditerranée et le Cerema Méditerranée, a eu lieu à Marseille et a permis de mobiliser une centaine de participants venus des 3 régions Occitanie, Corse et SUD/PACA. Nous retenons une journée enrichissante qui a participé à créer des liens entre une communauté d’acteurs (comme élus et services techniques des collectivités littorales, autorités organisatrices de la mobilité, gestionnaires portuaires, gestionnaires d’aires marines protégées, services de l’Etat et opérateurs, armateurs, etc.) - intéressés par les navettes maritimes en Méditerranée. L’évènement a démontré l’intérêt d’associer l’ensemble des compétences et des connaissances sur la thématique pour progresser collectivement.

EN INTRODUCTION, il est rappelé l’intérêt de cet évènement au croisement de nombreux sujets à enjeux, comme la mobilité du quotidien, la décarbonation des transports, la gestion des flux touristiques, la préservation des espaces littoraux et l’adaptation au changement climatique.

La façade Méditerranée offre de longs linéaires maritimes, où on dénombre de fait, dans plusieurs territoires du littoral, en régions Sud/PACA, Occitanie ou Corse, des services de transport collectif urbain par navettes maritimes pour franchir des anses, rades et caboter le long des rives. Plusieurs agglomérations comme Toulon, Marseille, Ajaccio ont des services maritimes intégrés au réseau de transport qui offrent une réponse efficace et performante à la chaîne de déplacements quotidiens.

Cette journée, introduite par Christophe LENORMAND, directeur interrégional de la mer Méditerranée et Renaud BALAGUER, directeur du développement au Cerema Méditerranée, avait notamment pour objectifs de : 

  • Partager des retours d’expérience de services existants de navettes maritimes sur la façade Méditerranée, également des outils et des connaissances associés ;

  • Communiquer sur des opérations ou études de « référence » sur la façade, échanger sur la réplicabilité de ces exemples ;

  • Engager une démarche de dialogue sur cette thématique entre les différents acteurs impliqués.

 

 

potentiel de développement des navettes maritimes en Méditerranée : une action du Document Stratégique de Façade (DSF)

Dans la première présentation, Julie IDOUX de la DIRM Méditerranée a rappelé le contexte dans lequel s’inscrit le DSF (déclinaison des directives européennes et SNML) ainsi que la particularité des enjeux en présence sur la façade Méditerranée (beaucoup d’activités sur le plan d’eau, milieu marin d’une grande richesse écologique).

Elle présente le contenu de l’action relative aux navettes maritimes inscrite dans le DSF. Cette action doit permettre de diminuer les nuisances et le trafic routier et ainsi améliorer la qualité de l’air.


 Pour ce faire, une mission a été confiée à une équipe pluridisciplinaire du Cerema, pilotée par Sandrine ROUSIC, et composée d’experts des domaines (littoral et mer, risques, mobilité, évaluation des transports). L’objectif est de développer une étude d’opportunité prenant en compte les besoins de mobilités de tous les publics. Plusieurs points de vigilance sont évoqués : comme la cohérence avec les autres politiques publiques (stratégie nationale bas carbone), la gestion de la fréquentation touristique ou encore la prise en compte des infrastructures routières et portuaires impactées par le changement climatique sur le littoral (submersion et recul du trait de côte). La méthode retenue pour l’étude comprendra trois volets : un benchmark des innovations, l’état des lieux des services maritimes existants sur la façade maritime (navettes du quotidien – hors excursions touristiques) et l’identification des liaisons pertinentes à développer.

En fin de présentation, Anaëlle PITOISET du Cerema, présente l’analyse stratégique (intégrée au volet 3 de l’étude Cerema). L’analyse stratégique est menée pour comprendre comment les projets de liaison maritimes sont compatibles avec les objectifs affichés par les politiques de lutte contre le réchauffement climatique. Cette partie de l’étude va permettre de mettre en perspective la pertinence de développer des liaisons de navettes maritimes au regard des enjeux environnementaux, du climat, de la résilience des infrastructures terrestres et de la biodiversité.

 

 

Navettes maritimes, le retour d’expérience de l’agglomération de Sète 

Sète agglopole Méditerranée, representé par Aurélien EVANGELISTI, a expliqué la genèse des deux projets de navettes maritimes existants sur le territoire : le service de bateau-bus qui circule dans les canaux sétois et la liaison Sète-Mèze interne à l’étang de Thau.

Le premier service, lancé en 2014, permet de relier le parking extérieur au centre-ville de Sète. Depuis 2023, le service estival devient journalier de 9h à 19h et c’est plus de 4 000 passagers en une matinée, soit environ 2 800 voitures évitées en centre-ville.

En collaboration avec l’ADEME, est expérimentée depuis 2021 une navette quotidienne Sète-Mèze qui finalement s’avère très attractive pour les touristes mais moins pour les résidents allant travailler (notamment au regard du temps de parcours non compétitif par rapport à la route).

Ces deux services, sont intégrés au réseau de transport de la collectivité et ne fonctionnent qu’en période estivale.

 

 


Outils d’estimation des émissions de polluants par les navires

L'outil présenté par Vincent NINEUIL du Cerema et Jean-Marc ANDRE de Citepa, permet, à l'aide des données dynamiques (AIS) et statiques (moteurs) des navires, d’estimer des émissions de divers polluants/GES rejetés par les navires, comme par exemple, les oxydes de soufre, les oxydes d'azote ou encore les particules. Cet outil a été élaboré sur la base du travail effectué pour évaluer les rejets de SOx en mer Méditerranée ainsi que les émissions de particules sur l'ensemble des Zones Economiques Exclusives des pays de l'Union Européenne. La première étude a notamment aidé la France à porter auprès de l’OMI le passage de la zone Méditerranée en zone "SECA" (Emission Control Area), soit à une limitation de la teneur en soufre des carburants à 0,1% à partir de 2025.

L’outil est exploratoire et il faut contacter les deux partenaires car il relève de données que le Cerema achète ou stocke/héberge pour le compte de la DG affaires maritimes, pêche et aquaculture. Le Cerema effectue une analyse du trafic maritime avec les caractéristiques motorisées des navires ; les données sont transmises au Citepa qui réalise le calcul des émissions.

 

Mesures de régulation de la fréquentation estivale sur les îles de Port-Cros et de Porquerolles

 Marc DUNCOMBE, Directeur du Parc national de Port-Cros, présente les travaux menés par le Parc pour réguler l’hyper fréquentation (augmentation du nombre de visiteurs et de navires constante) entrainant un risque de dégradation de l’environnement. Le constat a démontré que l’insatisfaction atteignait 49% en cas de surfréquentation.

La démarche mise en œuvre par le Parc a été participative avec un groupe de travail insulaire, des ateliers participatifs, des expositions de restitution et livre d’or ainsi que des travaux d’artistes. Cela a permis de :

  • Définir une vision partagée du « tourisme durable » à Porquerolles ;

  • Identifier des leviers d’intervention et des porteurs ;

  • Définir un plan d’action des opérateurs et une gouvernance commune.

La collectivité a mené un travail avec les bateliers et une charte a été mise en place en 2021 avec la répartition des flux. Elle est applicable de fin juillet à fin août et ne concerne pas les résidents et travailleurs. Des mesures d’accompagnement ont été développées : transport en commun gratuit avec un billet navette, information via Waze et travail de prévention des incendies.

Alexis VILLEMIN, DGA Aménagements, Ports, Energie de la Métropole de Toulon Provence Méditerranée, a insisté sur le rôle pro-actif des bateliers pour aboutir à cette charte. Il a été rappelé l’évolution du cadre réglementaire national favorable au renforcement des pouvoirs des maire et préfets pour autoriser ces mesures de limitation de l’accès à certains espaces naturels.

La Charte des bateliers peut-être consultée au lien suivant.

 

 

llustration humoristique de FNE (2020) - https://fne-ocmed.fr/wp-content/uploads/2020/02/Guide_trait_de_cote_FNE_LR_web.pdf

hausse du niveau de la mer et perspectives pour le développement des navettes maritimes

Céline TRMAL, experte en hydraulique maritime, aléas et aménagements littoraux au Cerema, a présenté la morphologie du littoral. L’urbanisation varie fortement en fonction de ces éléments d’une zone à l’autre et l’occupation du sol a été marquée par une fixation du littoral avec des effets négatifs.

L’étude du Cerema sur l’érosion côtière montre les conséquences sur plusieurs départements comme les Bouches-du-Rhône, certains départements d’Occitanie ou encore le Gard lié à sa spécificité avec un linéaire limité et une densité d’aménagements. 

Les effets du changement climatique vont être multiples mais tous ne sont pas encore bien évalués comme les tempêtes par exemple. La hausse du niveau de la mer due au réchauffement de la mer est mieux connue et on note déjà une accélération nette (3,6mm/an pour la période 1993-2024). 

Les autres éléments importants à prendre en compte sont les phénomènes marins avec le franchissement, la surverse avec risque de débordement et la rupture d’ouvrages de bord de mer qui provoque des inondations. Après chaque submersion marine, il y a des dégâts notamment au niveau de la voirie de bord de mer (ex : Antibes, Villeneuve-Loubet).

 

L’ennoiement (submersion permanente) a été bien étudié par le Cerema pour la région PACA. Les ports seront les premières infrastructures à devoir s’adapter. La façade Méditerranée est déjà soumise à des aléas qui vont se renforcer avec la hausse du niveau moyen de la mer. L’augmentation croissante des dégâts temporaires ou permanents pose la question du maintien de certaines infrastructures de bord de mer.

 

Ecomobilité portuaire en Région SUD/PACA

M. Gilles GIORGETTI, chef de projets développement durable des activités maritimes et nautisme à la direction de la mer de la Région SUD/PACA, est chargé de développer la stratégie régionale en faveur du nautisme en accompagnant l’ensemble de la filière nautique régionale, de promouvoir et d’accompagner la modernisation des ports de plaisance. Son exposé a permis de rappeler l’importance du littoral dans l’aménagement du territoire et le rôle fondamental de l’espace maritime dans les réponses à apporter aux citoyens, face aux problématiques actuelles de mobilité quotidienne et aux politiques publiques conduites pour la résilience..

Le développement des navettes maritimes est une piste à ne pas oublier malgré les contraintes à prendre en compte : contraintes géographiques, météo, empreinte carbone du transport maritime, contraintes technologiques, coût du projet et verrou culturel (besoin de dépasser le lien avec le tourisme, besoin de renforcer l’identité maritime des territoires).

La politique régionale s’appuie sur un réseau dense d’infrastructures portuaires avec les ports de plaisance en tant qu’outil stratégique pour la transition écologique et énergétique. La Région SUD/PACA soutient la modernisation des ports de plaisance qui pourraient devenir de potentielles plateformes multimodales et ainsi renforcer le rayonnement des territoires.

Le concept d’écomobilité portuaire consiste à intégrer les ports dans le développement urbain reliant tous les modes de transport et également les ports entre eux. Pour cela, depuis 2017, 11,5M€ de travaux ont été engagés en ce sens avec 2,9M€ d’aides régionales. La région a notamment mené en 2021 une étude sur la thématique de l’écomobilité portuaire dans le but de recenser des projets inspirants et de faire émerger des projets de transition dans les ports (agence Rising Sud). 

 

Synthèse réglementaire du transport maritime de passagers

M. Stéphane VASSEUR, inspecteur de la sécurité des navires et de la prévention des risques professionnels maritimes à la DIRM Méditerranée et coordonnateur de la Commission régionale de sécurité (CRS) a rappelé les fondamentaux des navettes maritimes comme transbordement de passagers dans le cadre d’une desserte publique et l’encadrement réglementaire lié au Code des Transports et à l’arrêté du 23/11/1987. Cette réglementation varie en fonction de différents éléments comme la longueur, le matériau de construction, la vitesse d’exploitation (si supérieur à 30 noeuds besoin de sièges et ceintures), le transport combiné de roulants et passagers, la navigation nationale ou internationale (élément important pour notre territoire en raison de la proximité de Monaco, de l’Italie et de l’Espagne) et enfin la jauge.

 

 

Il souligne que le développement de technologies innovantes ne fait pas encore l’objet de cadrage réglementaire. Pour autant, les projets sont analysés avec une approche basée sur le prototypage et l’analyse des risques (incendie par exemple) de manière à assurer le développement des projets.

D’autres aspects doivent être anticipés également comme l’accessibilité aux personnes à mobilité réduite, la rétention des eaux usées, etc.

 

Faisabilité des navettes maritimes sur la façade occidentale de la Corse – projet Nave Nostrum

M. Jean Marie SEITE, Maire de la commune de Galeria (Corse) et Président du Pôle d'Equilibre Territorial et Rural Pays de Balagne a présenté le retour d’expérience d’une étude de faisabilité de navettes maritimes, finalisée en 2022. Intitulée « Nave Nostrum », elle a permis de préciser les conditions techniques, opérationnelles, économiques et juridiques d'exploitation de lignes régulières de transport de passagers sur la côte ouest de la Corse.

De cette démarche partenariale entre les collectivités de l’ouest de la Corse et l’ADEME, trois expérimentations ont été mise en avant et pourraient voir le jour rapidement sans investissements lourds dans un premier temps : Calvi-Galeria, Sagone-Ajaccio et Porticcio-Propriano. 

L’objectif est de proposer des services avec des tarifs attractifs et de bien gérer les intermodalités avec les transports terrestres (navettes, vélos). Les temps de parcours seront compétitifs avec le terrestre. Les points faibles restent le besoin de financements car ce sont des navettes avec de faibles fréquentations sur des territoires ruraux avec de faibles moyens. A plus long terme, sont envisagés des navires décarbonés si la technologie le permet.

 

Vision de la décarbonation du transport maritime par l’ADEME

M. Philippe CAUNEAU, Ingénieur transports et mobilité maritime et fluviale à l’ADEME, a la charge des dossiers de demande de financement déposés aux différents guichets du Programme d’investissements d’avenir (PIA) « Navires du futur » dans le cadre de France 2030. Il a présenté la stratégie Transport et mobilité en expliquant qu’il fallait agir sur trois priorités : Maîtriser, Reporter et Améliorer. Pour chacune de ces priorités, il s’agit de rendre nos comportements moins impactant. Pour l’ADEME, la décarbonation est un enjeu majeur pour le transport maritime et fondamental dans l’économie mondiale. 

Cette transition est confrontée à trois challenges : énergétique, économique (complexe car sans solution de décarbonation il faudra baisser la vitesse) et financier.

 

 

L’ADEME mène de nombreuses études et expérimentations à destination de la filière maritime/fluviale, notamment soulignons une étude sur la décarbonation de la flotte de cabotage de navettes à passagers en région Sud/PACA en 2023 ou des études prospectives sur la performance de nouveaux systèmes de propulsion. Il est rappelé également que l’ADEME soutient l’innovation technique par le financement au travers d’appels à projets ou mobilise des aides financières privées (pour l’installation de bornes électriques de recharge dans les ports fluviaux par exemple).

"Aussi, l'ADEME réalise des actions de sensibilisation, comme actuellement avec le film « De bois et de vent : deux alternatives pour un transport maritime responsable »

 


En conclusion, pourquoi mettre en place un service de transport maritime de passagers ? 

La conclusion de la journée technique fut présentée par Stéphan ROUSSEAU, adjoint au directeur interrégional de la mer Méditerranée et Olivier TROULLIOUD, Responsable d'études en évaluation socio-économique des projets de transport.

 

L’efficacité de la navette maritime est en grande partie liée à la géographie et le transport maritime peut avoir plusieurs atouts :

  • relier entre eux des générateurs de déplacements dans l’agglomération,

  • pallier un manque de franchissement,

  • offrir un gain de temps par rapport au trajet terrestre,

  • répondre à un enjeu touristique maîtrisé.

La navette maritime a démontré sa réelle pertinence de transport du quotidien dans de nombreux territoires. A l’heure actuelle, il est primordial que ce mode de transport réponde autant aux besoins des populations, des touristes qu’aux enjeux environnementaux et climatiques et de préservation des espaces littoraux, naturels et marins ; enjeux qui ont été abordés lors de cette journée technique.

Suite à cette journée, le pari est maintenant de faire vivre cette communauté ; cela va se faire d’abord par les contributions des acteurs qui vont enrichir les différents volets de l’étude DIRM/Cerema qui se lance sur l’étude de potentiel des navettes maritimes en Méditerranée, dont les objectifs ont été présentés. L’ensemble des acteurs de la mobilité et du maritime (autorités organisatrices de la mobilité-collectivité et exploitants, armateurs, chantiers, etc.) seront associés pour établir finement l’état des lieux, du point de vue à la fois :

  • des services de navettes maritimes existantes et des projets de navettes maritimes en gestation sur les territoires littoraux méditerranéens (autorités organisatrices de la mobilité) ;

  • et des innovations technologiques participant à décarboner le service de navettes maritimes (exploitants, armateurs).


 

 

 

Contacts :

sandrine.rousic@cerema.fr
julie.idoux@mer.gouv.fr